mercredi 6 janvier 2016

Épiphanie - Saint Léon



HOMÉLIE V.

Vous le savez, mes chers frères, la manifestation de notre Sauveur est le sujet de la fête que nous célébrons aujourd'hui. C'est en ce jour que trois Mages, éclairés par une étoile miraculeuse qui leur servait de guide, ont été conduits à la connaissance et à l'adoration du Fils de Dieu. Un fait si mémorable méritait bien, assurément, d'être rappelé chaque année, afin que, l'entendant lire sans cesse dans l'Évangile, notre intelligence, frappée à la vue d'un si grand miracle, nous portât à méditer avec fruit le mystère qui nous a procuré le salut. Plusieurs révélations, il est vrai, avaient annoncé la naissance temporelle du Seigneur. La bienheureuse Vierge Marie avait entendu les paroles de Gabriel qui lui apprit qu'elle deviendrait mère par l'opération du Saint-Esprit, et qu'elle mettrait au monde le Fils de Dieu, et elle y avait ajouté foi. A sa voix, Jean-Baptiste, encore renfermé dans le sein d'Élisabeth, sa mère, avait tressailli de joie comme s'il avait voulu déjà s'écrier dans un esprit prophétique : Voici l'Agneau de Dieu; voici celui qui efface les péchés du monde[i]. Un ange aussi avait annoncé aux Pasteurs la naissance du Sauveur; et pendant qu'il leur parlait, ils avaient été environnés d'une lumière céleste, pour leur montrer qu'ils ne devaient avoir aucun doute sur la majesté de l'enfant qu'ils allaient voir couché dans une crèche, et qu'ils ne devaient pas croire que celui à qui la milice céleste rendait ses hommages fût seulement revêtu de la nature humaine. Mais il est possible que ces premières révélations n'aient été connues que d'un petit nombre de personnes amies de la Sain te Vierge, ou de la famille de saint Joseph. Il n'en est pas de même du signe qui mit en route les Mages, et les fit venir avec tant de courage et de persévérance adorer l'Enfant Jésus. C'était assurément un mystérieux symbole de la grâce divine et le prélude de la vocation des Gentils ; car la prédication de l'Evangile du Sauveur ne devait pas être bornée par les limites de la Judée ; elle devait être entendue dans toutes les parties du monde. Cette étoile brillante de lumière pour les Mages, qui ne se fit point voir aux Israélites, signifiait donc que les premiers étaient éclairés, tandis que les seconds demeuraient dans l'aveuglement.

Nous voyons maintenant, mes chers frères, l'éclaircissement de tous ces signes mystérieux : la vérité a succédé aux figures. La bonté de Dieu fait briller une nouvelle étoile dans le Ciel, et trois Mages, attirés par cet éclat précurseur de l'Evangile, représentent toutes les nations qui accourent en foule pour adorer la puissance du souverain Roi de l'univers. Hérode représente le démon qui frémit de rage et gémit de se voir dépouillé du droit tyrannique qu'il exerçait sur ceux qui passent dans le royaume de Jésus-Christ. Pour conserver son pouvoir, ce prince cruel croit, en égorgeant des enfants, faire mourir Jésus lui-même. Plus tard, il continue à le persécuter, lorsqu'il s'efforce de faire perdre la grâce du Saint-Esprit aux nouveaux baptisés, et d'éteindre la lumière de la foi dans ces âmes encore faibles, comme il a étouffé la vie dès son commencement.

Quant aux Juifs qui n'ont pas voulu reconnaître la royauté de Jésus-Christ, ils sont encore en quelque sorte sous la domination d'Hérode ; gémissant sous le joug de l'ennemi du Sauveur, ils sont soumis à une puissance étrangère, comme s'ils ignoraient la prophétie de Jacob, qui dit : Les princes ne manqueront point dans la famille de Juda, et le chef de la nation en sortira toujours jusqu'à l'avènement de celui qui est l'objet de nos espérances : et c'est lui que les nations attendent[ii]. Mais ils ne comprennent pas ce qu'ils ne peuvent cependant nier, et ils n'ont pas l'intelligence des Écritures qu'ils ont tous les jours entre leurs mains. La vérité est un sujet de scandale pour ces maîtres insensés, et la lumière devient ténèbres pour ces docteurs aveugles. Ainsi, lorsqu'ils sont interrogés, ils répondent que c'est dans Bethléem que doit naître le Christ, et ils ne font point usage pour eux-mêmes de cette science qu'ils communiquent à d'autres. La succession de leurs rois est anéantie : ils n'ont plus ni temple, ni victimes, ni sacerdoce. Toutes les fins de non-recevoir leur sont fermées; ils éprouvent que tout est terminé pour eux, et cependant ils ne veulent pas reconnaître encore que les avantages de la première alliance ont été transférés à Jésus-Christ. C'est pour quoi selon les desseins de Dieu, la grâce dont les trois Mages, représentant toutes les nations, se sont trouvés dignes par l'adoration ciels ont rendue au Seigneur à sa naissance, s'est répandue sur tous les peuples de l'univers appelé à la foi qui justifie les pécheurs. Les enfants d'adoption entrent dans l'héritage qui leur a été préparé avant tous les siècles, et ceux qui s'en regardaient comme les héritiers légitimes en sont exclus.

Aveugles Juifs, ouvrez enfin les yeux, et revenez de votre égarement ; renoncez à votre infidélité, et convertissez-vous à votre Rédempteur. Ne vous effrayez point de l'atrocité de votre crime; Jésus-Christ n'appelle pas seulement les justes, mais les pécheurs eux-mêmes. Celui qui a prié pour vous pendant qu'on le crucifiait ne vous rebute point malgré votre impiété. Délivrez-vous de la cruelle imprécation qu'ont faite vos pères, et ne vous laissez pas lier par la malédiction qu'ils ont prononcée en disant de Jésus-Christ : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants [iii]! Ils vous ont transmis la honte de leur horrible attentat; mais revenez à un maître plein de miséricorde, et profitez de la clémence de celui qui veut vous pardonner. Le sang que vous avez versé est devenu le prix de votre salut. Celui dont vous avez voulu la mort est vivant. Vous l'avez autrefois renoncé ; confessez-le maintenant. Adorez celui que vous avez vendu, afin que sa bonté vous soit utile, puisque votre malignité n'a pu lui nuire.

Pour remplir, mes chers frères, les devoirs de cette vraie charité dont nous sommes redevables à nos ennemis eux-mêmes, suivant l'exemple et les leçons du Seigneur; nous devons faire des vœux et donner tous nos soins pour que ce peuple, qui a dégénéré de la noblesse spirituelle de ses ancêtres, recouvre les droits qu'il a perdus. Cette bienfaisance nous rend très-agréables à Dieu : c'est le crime des Juifs qui nous a attiré sa miséricorde; il nous a appelés afin que, témoins de notre foi, ils fussent excités à rentrer dans la voie du salut. En effet, la sainteté des âmes pieuses ne doit pas seulement leur servir à elles-mêmes, mais encore aux autres; c'est pourquoi elles doivent s'efforcer de gagner par leurs bons exemples ceux qu'elles ne peuvent ramener par leurs paroles.

C'est pourquoi, considérant, mes chers frères, la grandeur des bienfaits dont Dieu nous a comblés, ne soyons pas ingrats, et rendons-nous les coopérateurs de sa grâce qui opère en nous. Ce n'est point en se livrant au sommeil qu'on gagne le Ciel, et la béatitude éternelle ne s'acquiert point par l'oisiveté et la paresse. Voilà pourquoi l'Apôtre nous dit : que nous serons glorifiés avec Jésus-Christ, si nous souffrons avec lui[iv]; il faut donc courir dans la carrière que le Seigneur nous a tracée en disant de lui-même qu'il est la voie ; lui qui, sans aucun mérite de notre part, nous a adoptés, encouragés au travail et sauvés par le mystère de la réconciliation et par ses exemples. Or, mes chers frères, ce travail;, loin de paraitre dur et accablant aux serviteurs fidèles et aux enfants de Dieu qui ont de la piété, leur devient doux et agréable, selon la parole du Sauveur, qui a dit de sa propre bouche : Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau est léger[v]. Il n'y a rien de pénible pour les âmes vraiment humbles; rien ne parait rude et difficile à celles qui sont douces ; et l'on accomplit aisément tous les préceptes lorsqu'on est aidé par la grâce, et que l'obéissance fléchit la rigueur du commandement. La parole de Dieu se fait si souvent entendre à nos oreilles, qu'il n'y a point d'homme qui puisse dire qu'il ignore ce qu'il doit faire pour accomplir toute justice. Mais parce que ce jugement où chacun de nous recevra selon ses œuvres, bonnes ou mauvaises, est différé par un effet de la bonté et de la patience de celui qui doit un jour nous juger, les pécheurs se promettent l'impunité de leurs crimes, et se persuadent faussement que les actions des hommes ne sont point du ressort de la divine Providence qui n'en examine pas les motifs; et ils ne réfléchissent pas que les méchants sont quelquefois punis très-visiblement dès cette vie. Ne voyons-nous pas assez souvent, en effet, paraître des signes de la colère d'En-Haut, propres à réveiller la foi de ceux qui s'endorment, et à réprimer les excès des impies ?

Cependant, mes chers frères, Dieu ne cesse de répandre les effets de sa bonté sur tous. Il ne refuse sa miséricorde à personne, puisqu'il comble de biens les bons et les méchants ; aimant mieux gagner par ses bienfaits que perdre ceux qu'il pourrait avec justice livrer au châtiment. Si la punition est retardée, c'est afin de donner lieu au repentir et à la pénitence. On ne saurait dire néanmoins que Dieu laisse dormir en paix celui qui refuse de se convertir; car le pécheur, quand il considère son ingratitude et son endurcissement, éprouve déjà un véritable supplice, et sa conscience lui fait souffrir d'avance les tourments qu'il a plu à la bonté divine de différer. Que les méchants ne se laissent donc point enivrer par leurs fausses délices, de peur que la mort ne les y surprenne, parce qu'il n'est plus temps de se corriger dans l'enfer. L'âme ne saurait satisfaire utilement pour les péchés qu'elle a commis, dès qu'elle ne peut plus former d'actes libres par sa volonté ; c'est ce que nous montre le prophète David quand il dit à Dieu : Quel est celui qui, dans le sein de la mort, se souviendra de vous? ou qui pourra confesser votre nom au milieu de l'enfer [vi]? Fuyez les voluptés criminelles, les joies trompeuses du siècle ; ne désirez pas la jouissance des objets qui doivent bientôt périr. Quelle utilité, quel fruit peut-on retirer de la recherche des biens qu'il nous faudra bientôt abandonner, s'ils ne nous échappent les premiers? Aimez plutôt ceux qui sont incorruptibles, et dont la possession durera toujours. Qu'une âme destinée à jouir de biens tout spirituels ne trouve de plaisir que dans les choses du Ciel. Liez-vous d'amitié avec les saints Anges; entrez dans la cité. de Dieu où nous avons l'espérance d'être associés aux Patriarches, aux Prophètes, aux Apôtres et aux Martyrs. Puisez votre joie, mes frères, à la source où les Saints trouvent la leur... Désirez d'avoir part à leurs richesses, et qu'une sainte ému lation vous fasse réclamer leurs suffrages ; car il faut imiter leur piété, pour partager un jour la gloire dont ils sont couronnés. Ainsi, pendant le temps qui vous est accordé pour mettre en pratique les commandements de Dieu : Glorifiez Dieu dans votre corps mortel[vii] , et brillez comme des astres dans le monde[viii]. Que la lumière de votre esprit soit toujours ardente, et ne souffrez rien de ténébreux dans vos cœurs, parce que, comme vous le dit l'Apôtre : Vous n'étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ; marchez comme des enfants de lumière[ix]. Les Mages vous ont précédés dans le chemin où vous marchez. Imitez leurs exemples: Et que votre lumière brille tellement devant les hommes, que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans le Ciel[x]. De même que les mauvais Chrétiens se rendent coupables d'un grand péché lorsqu'ils sont cause que le nom de Dieu est blasphémé par ceux qui n'ont point de foi; de même, la vie exemplaire et les bons discours des fidèles disciples de Jésus-Christ, qui font bénir son saint nom, leur assure une grande récompense. Que tout honneur, toute gloire et toute louange lui soient rendus dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.





[i] Joan., 1,19.
[ii] Genes., XL.
[iii] Matt., XXVII, 25.
[iv] Rom., VIII, 17.
[v] Matth., XI, 28.
[vi] Psalm., VI, 6.
[vii] 1. Cor. VI, 20.
[viii] Philipp., II, 15.
[ix] Ephès., V, 8.
[x] Math., V, 16.

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