lundi 13 juillet 2015

Mgr Gaume - La Révolution

Mais qu’est-ce que la Révolution ? Poser une semblable question, c’est en montrer l’importance.

Si, arrachant le masque à la Révolution, vous lui demandez : Qui es-tu ? elle vous dira :

«Je ne suis pas ce que l’on croit. Beaucoup parlent de moi, et bien peu me connaissent. Je ne suis ni le carbonarisme qui conspire dans l’ombre, ni l’émeute qui gronde dans la rue, ni le changement de la monarchie en république, ni la substitution d’une dynastie à une autre, ni le trouble momentané de l’ordre public. Je ne suis ni les hurlements des Jacobins ni les fureurs de la Montagne, ni le combat des barricades ni le pillage, ni l’incendie ni la loi agraire, ni la guillotine ni les noyades. Je ne suis ni Marat, ni Robespierre, ni Babeuf, ni Mazzini ni Kossuth. Ces hommes sont mes fils, ils ne sont pas moi. Ces choses sont mes œuvres, elles ne sont pas moi. Ces hommes et ces choses sont des faits passagers, et moi je suis un état permanent.

«Je suis la haine de tout ordre religieux et social que l’homme n’a pas établi et dans lequel il n’est pas roi et Dieu tout ensemble ; je suis la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu ; je suis la philosophie de la révolte, la politique de la révolte, la religion de la révolte ; je suis la négation armée (Nihilum armatum) ; je suis la fondation de l’état religieux et social sur la volonté de l’homme au lieu de la volonté de Dieu ! en un mot, je suis l’anarchie ; car je suis Dieu détrôné et l’homme à sa place. Voilà pourquoi je m’appelle Révolution ; c’est-à-dire renversement, parce que je mets eu haut ce qui, selon les lois éternelles, doit être en bas, et en bas ce qui doit être en haut».

Cette définition est exacte : la Révolution elle-même va nous le prouver en énumérant ses exigences. Qu’a toujours demandé et que demande encore la Révolution ?

La Révolution a toujours demandé, elle demande encore la destruction de l’ordre social et religieux existant.

Elle l’attaque incessamment, sur tous les points et de mille manières : par l’injure, par la calomnie, par le sarcasme, par la violence ; elle l’appelle esclavage, superstition, dégradation. Elle veut tout détruire, afin de tout refaire.

La Révolution demande la souveraineté de l’homme, Roi, Sénat, ou Peuple, dans le but d’établir soit le despotisme d’un seul, soit le despotisme de la multitude, soit une monarchie dans laquelle le roi est esclave du parlement, et le parlement esclave de l’opinion, et l’opinion esclave de quelques hommes.
La Révolution demande la liberté, c’est-à-dire le laisser-faire en toutes choses, sauf, plus tard, à ne rien laisser faire sans sa permission : le morcellement et l’aliénation illimités de la propriété, la liberté illimitée de la concurrence ouvrière, la liberté illimitée de la parole, des cultes et du divorce.

La Révolution demande l’égalité, c’est-à-dire l’abolition de tous les droits acquis, de toutes les hiérarchies sociales, de toutes les autorités établies, de toutes les supériorités, au profit du nivellement complet.

La Révolution demande la séparation de l’Église et de l’État, afin de ruiner l’influence sociale de la première, la dépouiller impunément, faire absorber le pouvoir spirituel ou de Dieu, par le pouvoir temporel ou de l’homme, de manière à réaliser sa maxime favorite : l’Église doit être dans l’État, et le prêtre dans la sacristie.

La Révolution demande la reconnaissance politique et la protection de tous les cultes, afin de mettre sur la même ligne l’erreur et la vérité, de les rendre aux yeux des peuples l’objet d’une égale indifférence, de les confondre dans un commun mépris, et par là de substituer à la religion révélée de Dieu la religion naturelle, fabriquée par l’homme, interprétée et sanctionnée par lui.

La Révolution demande saris cesse des Constitutions, c’est-à-dire l’anéantissement de la constitution naturelle, historique, telle qu’elle s’est formée et développée, durant des siècles, par les traditions et coutumes nationales, afin de la remplacer par une nouvelle constitution, faite d’un trait de plume, dans le but d’abolir tous les droits antérieurs, excepté ceux qui sont contenus dans cette nouvelle charte, et uniquement parce qu’ils y sont. Depuis 1789 la France eu a eu dix-sept, et elle n’est pas encore contente.

Telles sont les principales demandes de la Révolution. Depuis quatre siècles, ses organes, dans toute l’Europe, ne cessent de les renouveler tantôt une à une, tantôt toutes ensemble, quelquefois d’une manière impérieuse, le plus souvent sous des formules soi-disant gouvernementales.

Nous disons depuis quatre siècles. À cette époque, en effet, la Révolution, c’est-à-dire la théorie païenne de la souveraineté absolue de l’homme, se formule chez les nations chrétiennes. Partie d’en haut pour descendre en bas, elle nous présente trois phases distinctes. Depuis la Renaissance jusqu’en 1789, elle est royale ; en 1789 elle devient bourgeoise ; aujourd’hui elle tend à devenir populaire.

Inspirés par l’esprit de l’antiquité païenne, la plupart des rois chrétiens ont voulu se faire Césars ; et l’histoire nous les montre poursuivant pendant trois siècles, comme dernier mot de toute de leur politique, l’affaiblissement et la destruction de toute puissance capable de contre-balancer leur pouvoir absolu, ou d’en gêner l’exercice. Ils ont voulu se faire Papes. De là l’oppression systématique de l’Eglise, la spoliation de ses biens et la proclamation de maximes tendant à consacrer leur affranchissement de son autorité sociale.

A la fin du dernier siècle, les classes moyennes réagissent avec une épouvantable énergie contre le paganisme monarchique, le renversent et le confisquent à leur profit. A l’exemple des rois, les révolutionnaires de 89 se font Césars, ils se font Papes. Nous les voyons, en conséquence, faire table rase de ce qui restait de l’état religieux et social ; et, du milieu des ruines, on les entend proclamer à leur profit la souveraineté absolue de l’homme sur tout ordre donné.

Le peuple, dont le bras a exécuté la Révolution, le peuple pour qui on disait qu’elle était faite, et qui en a été la victime ; le peuple, à son tour, aspire au Césarisme et à la Papauté, et, d’une voix de plus en plus terrible, il crie à la bourgeoisie : Ôte-toi de là, que je m’y mette ! Ainsi, après avoir été royale et bourgeoise, la Révolution menace de devenir populaire. «La sauterelle mangera les restes de la chenille ; le ver, les restes de la sauterelle ; la nielle, les restes du ver, et il ne restera rien»1. Telle sera, si Dieu, n’y met la main, la dernière phase de la Révolution.

En effet, ce que le paganisme royal et le paganisme bourgeois ont demandé pour eux, le paganisme démocratique le demande pour lui, à savoir : la suprématie absolue de l’homme dans l’ordre religieux et dans l’ordre politique.

La suprématie absolue entre les mains de la multitude, c’est la destruction universelle ; par conséquent l’abolition de la propriété, pour arriver, comme le peuple l’entend, et il ne s’en cache pas, au communisme, et du communisme à la jouissance.

Comment se faire illusion sur ce point ? La propriété est-elle autre chose qu’un privilège de possession donné de Dieu à l’un plutôt qu’à l’autre, soit par la naissance et l’hérédité, soit par le travail réussi, soit par des spéculations heureuses La sainteté de la propriété est-elle autre chose que la soumission à la loi de Dieu qui défend le vol ? Si donc la Révolution ne reconnaît pas la loi divine comme obligatoire dans la religion, dans l’autorité, dans la famille, dans la constitution, dans la hiérarchie sociale, pourquoi reconnaîtrait-elle le privilège de la propriété ? Et si elle entreprend de remettre tout à neuf, religion, État, famille, commune, peuple et constitution, pourquoi de ce remaniement universel exclure la propriété ?

Voilà ce dont l’Europe est aujourd’hui menacée.


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